Tout le monde déteste les poubelles
Berneri
Lors de la dernière manifestation du 15 mars, nous avons observé certains comportements contre-productifs et potentiellement gênants pour tou·te·s les participant·e·s. On peut notamment penser aux jets de poubelles sur le passage de la manifestation, ou aux gens qui s’excitent et paniquent pour rien. Nous pensons que ces problèmes ont deux origines principales : la peur et le manque de formation.
Ces deux éléments s’entremêlent, se croisent et s’agencent de façon différente chez les camarades auteur.trices de ces comportements, mais il s’agit de les adresser de front si nous voulons constituer une force collective combative et efficace en manifestation. Nous aborderons également un enjeu plus politique que tactique qu’il nous semble important de pointer.
Les barricadiers du dimanche
Le premier point que nous voulons soulever est l’utilisation des poubelles et autre mobilier urbain pour ralentir les forces de l’ordre. Il est évidemment souhaitable de compliquer la tâche de la police. Tout le monde s’entend pour dire qu’empêcher les flics d’occuper les trottoirs est une bonne idée. Renverser les poubelles sur les côtés et rendre le terrain difficilement praticable est dans ce cas là tout à fait souhaitable et à encourager. Ce que nous ne comprenons pas, c’est l’attitude de certain·e·s qui décident de prendre tout ce qui leur passe sous la main et de le jeter dans la manifestation, avant même le passage de la banderole de tête. Il parait assez évident que les personnes qui vont avant tout être ralenti·e·s, qui risquent de chuter ou de marcher sur le clou d’une palette, sont les manifestant·e·s que cette tactique est sensée aider.
Nous pensons que cette attitude vient d’abord du fait que les personnes ne se sont pas forcément posé la question et que tout le monde fait comme ça. Les camarades reproduisent les gestes habituels, par mimétisme, emporté·e·s par leur adrénaline plus que par leur raison. Il parait assez évident qu’il est beaucoup plus efficace de dresser des barricades derrière ou dans les derniers rangs de la manifestation que de risquer de faire trébucher ses camarades. Nous pensons qu’un nombre non négligeable de camarades ont peur de se faire cibler, mais aussi que certain·e·s agissent plus pour se faire plaisir et pour avoir l’air radical que pour des considérations tactiques.
Nous n’avons évidemment pas de problèmes avec le fait que les gens aient peur. Il est tout à faire naturel, et même plutôt sain de ne pas prendre ce genre d’action à la légère. Cependant, nous traçons la limite à commettre des actes inconsidérés qui engagent inutilement les autres militant·e·s. Les personnes qui ont trop peur pour attendre le passage de la manifestation pour dresser des barricades devraient s’abstenir purement et simplement. Cette façon de faire participe par ailleurs à créer une division entre les personnes qui mènent les actions et les personnes qui sont dans le cortège. Il est complètement contre-productif pour tout le monde de créer cette distance, et de donner l’impression au reste des gens qu’on s’en fout un peu de leur situation. Les camarades devraient réviser leur attitude à ce sujet et nous les encourageons à le faire pour que le milieu puisse maintenir des relations de franche camaraderie.
La panique en manifestation
Nos manifestations sont souvent des moments de tensions importants ; il arrive donc que des personnes se laissent aller à des considérations tactiques ou politiques qui n’ont pas beaucoup de sens. L’adrénaline, la peur, le sentiment de force collective fait que les émotions de chacun·e sont à fleur de peau. Néanmoins, nous considérons qu’il est inacceptable de se laisser aller à hurler que la police va charger, ou qu’ils sont en train de faire une souricière. Si la charge arrive, la meilleure méthode n’est pas de recourir au « chacun pour soi », mais de se serrer les coudes entre camarades et de reculer en bon ordre. En ce qui concerne les souricières, il nous semble que cette pratique est largement abandonnée par le SPVM depuis un certain nombre d’années, il est donc encore moins acceptable de crier ce genre de choses.
Les gens qui paniquent facilement devraient venir plus régulièrement en manifestation plutôt que de s’exciter ainsi. Ensuite, si les policiers essayent effectivement d’arrêter l’ensemble de la manifestation, c’est les personnes chargées du trajet et de l’organisation de la manifestation qui seront les plus à même de voir ce qu’il se passe et de coordonner un mouvement en conséquence. Se mettre à hurler qu’on va tous se faire arrêter fait entièrement le jeu de la police, car ça participe à disloquer et disperser la manifestation si la panique s’empare du groupe. Or, on sait très bien qu’actuellement nos manifestations ne résistent pas à beaucoup plus qu’une grenade lacrymogène, alors qu’il semble que la hausse fulgurante de cette tactique de la police de Montréal cherche surtout à nous disperser pour mettre fin à la manifestation. Quand bien même la manifestation entière se ferait arrêter, le nombre reste notre force et permettra de couvrir les camarades qui doivent se changer ou abandonner du matériel.
Les joueurs de pelote
Cet élément n’est pas le principal, mais à toutes fins utiles, il semble bon de rappeler à quoi servent les projectiles divers en manifestation. Lancer un caillou sur une vitre de banque, ainsi que sur la plupart des commerces, ne sert à rien dans la plupart des cas. Les projectiles rebondissent sans peine sur les vitres renforcées ou blindées. Ce ne serait pas dramatique si les rebonds n’étaient en soi un problème.
Les camarades qui auraient envie d’aller s’en prendre de façon correcte à la cible (marteau, masse, etc.) ne peuvent faire ça en sécurité si des d’autres caillassent le bâtiment. De façon plus générale, la plupart des camarades qui ont de l’expérience en manifestation ont vu ces rebonds frapper d’autres manifestant·es. Ajoutons que ce sont souvent les mêmes personnes qui lancent ces projectiles depuis l’intérieur de la manifestation, derrière plusieurs rangs de personnes. Si nous ne manquons pas par principe de confiance vis-à-vis des camarades, nous avons cependant souvent vu ces tirs toucher un·e autre manifestant·e.
Le caillassage est par contre tout à fait utile si utilisé correctement. Son but principal est de harceler les forces de l’ordre et de les maintenir à distance. Si on comprend qu’il soit plus risqué de cibler les policiers, ceux-ci risquent de répondre et d’essayer de t’arrêter, plutôt qu’une vitrine, le choix de faire l’un ou l’autre ne devrait pas être le critère déterminant. Avant de te décider à lancer ton caillou pour te faire plaisir, demande-toi si tu ne risques pas de toucher un·e camarade (rebond compris), si tu es dans une bonne position pour le faire et s’il ne vaudrait pas mieux cibler la police.
Ça parle fort et ça ne fait rien
Il semble aussi que de jeunes camarades n’aient pas vraiment compris le concept derrière le fait de se changer après les manifestations. Après la dispersion de la manifestation devant le métro Vendôme nous, qui avions trouvé le moyen de nous changer discrètement et de nous éloigner tout en prenant le métro, nous sommes retrouvés collés par un certain nombre de camarades hirsutes, bruyant·e·s et à moitié changé·e·s. Non contents de n’avoir pas compris le concept de la discrétion quand on quitte une manifestation, ces personnes ont ensuite passé le trajet jusqu’à Berri-UQAM à invectiver les flics présents dans la rame, à pousser des cris, et à être généralement si bruyant.e.s que les autres passagers en étaient gênés.
Il ne semble pas qu’à un seul instant ces personnes aient pris conscience d’attirer l’attention sur elleux alors que d’autres camarades qui auraient pu avoir de bonnes raisons d’opter pour la discrétion se tenaient non loin. Ce genre de comportement individualiste vient sans doute d’un manque de formation, mais il dénote aussi que la transmission du savoir et des pratiques ne s’est pas faite et qu’il va falloir régler ce problème.
Les flics, tous des nazis ?
Enfin, et ce n’est pas le point le moins important ; au cours de cette même manifestation nous avons eu l’occasion de croiser une bannière qui a posé problème à un certain nombre de camarades et devrait toutes et tous nous questionner. Le slogan « SSPVM police politique » est un triste classique de nos évènements à tel point que les gens ne semblent pas se poser la question de sa signification. On peut comprendre que des personnes peu politisées se retrouvent à scander de telles inepties et nous pouvons avoir une discussion à tête reposée avec elles. Néanmoins la présence de cette bannière en tête de cortège nous force à exprimer notre désaccord profond avec la signification de ces quelques mots.
Ce slogan d’apparence anodine revient en réalité à relativiser les crimes nazis, et notamment ceux de la SS. Nous ne pensons pas que quiconque de raisonnable oserait défendre que la police de Montréal soit aussi brutale que cette force militaire responsable de tant de massacres et de tortures. Nous savons bien que les gens cherchent l’hyperbole pour marquer leur rejet radical de l’institution policière. Mais ce faisant, on a l’air de prétendre que les flics de Montréal se comportent comme une force politique génocidaire et on relativise la spécificité de la Shoah et des crimes nazis.
Nous sommes tout à fait en accord avec l’imputation de crimes coloniaux aux corps policiers qui ont construit et construisent encore le soi-disant Canada, de la même manière qu’ils correspondent à une forme libérale des dispositifs de traque et de surveillance des personnes noires mises en esclavage dans les Amériques. Il est évident que les corps policiers ciblent, dans leur rôle de maintien de l’ordre, les personnes marginalisées. Différente de la force militaire, la police exerce la coercition et la répression de la société politique sur la société civile. Néanmoins, si l’on souhaite considérer que les corps de police de l’État canadien libéral mènent présentement une politique génocidaire, c’est-à-dire l’extermination systématique de certains groupes sociaux par le meurtre de masse, nous, révolutionnaires, nous demandons bien quelle résistance sérieuse est construite pour y mettre un terme ! En plus de ne servir qu’à donner bonne conscience, l’abus de métaphores détourne d’une réelle stratégie de lutte pour l’abolition du colonialisme canadien, exigence fondamentale des luttes autochtones.
Nous n’affirmons pas que toute personne ayant crié ce slogan soit un·e ignorant·e révisionniste et antisémite. Cependant, ce slogan et la bannière font preuve d’ignorance révisionniste et antisémite. Les défenses du slogan reconduisent d’ailleurs cet antisémitisme à différents niveaux, en relativisant par toutes sortes de comparaisons, la mort systématique de millions de personnes juives. En plus de ça, pour toute personne qui connaît un peu le sujet, nous passons pour des idiots. Ce slogan détruit notre crédibilité politique et menace notre capacité à faire entendre notre rejet radical et rationnel de l’institution policière.
Pour toutes ces raisons, nous ne voulons plus voir cette bannière en manifestation et nous souhaitons que nos camarades cessent de reprendre ces slogans.
Nous espérons que ces quelques mots fourniront matière à réflexion, et nous sommes prêt·e·s à débattre des différentes considérations tactiques. De façon générale, nous considérons que les retours sur expérience de chacun·e ne peuvent que nous renforcer. Il s’agit de toujours faire mieux, en tout.
Attaque antisémite