C’est bien beau la libération sexuelle, mais… comment?

Églantine

 

Entre octobre 2023 et février 2024, des membres du Collectif Première Ligne ont appelé publiquement à former un cercle de lecture et d’écriture sur le genre, la reproduction sociale et le patriarcat. Une quinzaine de participant·e·s a fréquenté, en tout ou en partie, les séances de ce cercle, amenant avec elles, leurs situations, leurs bagages, leurs problèmes, leurs perspectives et leurs motivations. Le texte qui suit, comme tous les textes composant le numéro, est issu de ce processus.

Il est difficile de vouloir sortir d’un cadre et de vouloir le déconstruire en même temps. Par rapport à la sexualité, au féminisme, à l’amour. Je ne veux pas me conformer à la définition traditionnelle du couple, me faire emporter par le courant et me noyer dans ma relation amoureuse, avoir soif de passer tout mon temps avec mon partenaire, qu’il soit la personne vers qui je vais en premier, la personne à qui je me confie le plus, juste parce que c’est mon amoureux. Je ne veux pas placer une relation sur un piédestal, seulement parce que les sentiments qui l’animent sont en partie romantiques. Mais rejeter tout ça systématiquement n’est pas non plus une solution. Comment garder la tête hors de l’eau assez longtemps pour savoir si mes attentes et mes désirs dans une relation sont vraiment miens ou s’il s’agit seulement de codes auxquels je pense devoir souscrire? Il est certainement plus facile de se conformer aux attentes, de ne pas réfléchir et de se laisser flotter au gré du courant : rencontrer les ami.e.s, rencontrer la famille, habiter ensemble, voire même se marier, avoir des enfants, etc. Cela demande certainement moins d’effort que de nager à contre-courant, on se fait moins éclabousser et on risque moins de tomber dans le tourbillon des doutes et des questionnements. Malheureusement (ou heureusement), il est trop tard pour moi : je suis bel et bien en train de tourner sur moi-même en essayant de me dépêtrer de ma confusion. 

Entre autres, je trouve l’exclusivité en couple difficile à naviguer. Je sais que je n’aime pas l’idée d’une relation exclusive, ni en amitié, ni en amour. Si je souhaite éviter de hiérarchiser mes différentes relations, il est incohérent d’exiger l’exclusivité dans mon couple alors que je n’y songerais même pas dans mes relations amicales, qui pour certaines sont plus intimes que ma relation amoureuse. Je suis présentement dans un couple ouvert, ce qui est mieux que rien mais qui depuis quelque temps suscite beaucoup de réflexions chez moi. Je trouve cela dommage de devoir limiter les connexions que je pourrais avoir avec certaines personnes. L’idée de coucher avec quelqu’un.e et de me fermer à toute connexion romantique me rend mal à l’aise. La libération sexuelle c’est bien beau, mais qu’en est-il de la libération amoureuse /romantique?

Comment naviguer le couple ouvert sans savoir si je veux avoir des relations sexuelles avec des personnes avec qui je n’ai pas, ou je ne peux pas avoir de connexion romantique? Comment faire tout en me donnant la limite de ne pas créer de relation amoureuse ou romantique avec elleux? Même si j’étais dans une relation polyamoureuse, comment faire pour gérer plus d’une relation amoureuse à la fois sans consacrer moins de temps à celle que j’ai déjà? C’est tellement d’énergie, je m’attacherais tellement vite, gérer les périodes « lune de miel » où on veut passer tout notre temps ensemble serait bizarre par rapport à mon/mes autre(s) partenaire(s). Est-ce que je veux explorer ma sexualité avec d’autres personnes parce que j’en ai envie ou parce que je suis dans une logique d’accumulation qui me fait croire que c’est comme ça que je vais être heureuse, cool, épanouie?

Mes réflexions me poussent depuis un certain temps vers le polyamour. Je suis de plus en plus attirée par la perspective d’explorer ma sexualité, mes envies et les relations amoureuses avec plusieurs partenaires, pousser mes réflexions sur l’amour encore plus loin en ayant différentes perspectives et expériences pour m’accompagner. Le polyamour m’aiderait aussi à m’extirper du cadre relationnel imposé par la société puisqu’il s’agit à la base d’un type de relation transgressif et qui sort de ce cadre. Il serait plus facile de déconstruire mes attentes et de me créer une nouvelle perception des relations amoureuses de cette manière. Je serais ainsi libre d’avoir des connexions amicales, amoureuses, etc. sans devoir me restreindre et me soucier d’enfreindre des règles. 

À tous ces questionnements s’ajoute le fait qu’en tant que personne queer dans une relation amoureuse perçue comme hétérosexuelle, qui est en plus ma première relation amoureuse, je trouve encore plus difficile de déterminer mes attentes envers mon couple et mon partenaire. Mon partenaire a une conception du couple plutôt classique et ne se tracasse pas vraiment avec cela. Ce n’est pas très étonnant considérant que cette conception lui est plutôt bénéfique, en tant qu’homme cisgenre hétérosexuel. En plus, il  n’en est pas à sa première relation de couple, ce qui fait que je me sens un peu seule dans mes réflexions et ma confusion. Ce n’est pas facile de faire comprendre tous mes questionnements à quelqu’un qui n’a pas l’expérience d’une personne queer, qui n’a pas eu ces questionnements, ces doutes, qui n’est pas anxieux et qui ne tombe pas constamment en crise existentielle (Qui suis-je dans une relation amoureuse? Qu’est-ce que cette relation veut dire pour moi? Est-ce que j’ai fait le bon choix en m’engageant dans cette relation? Est-ce que j’en fais trop? Pas assez? et ainsi de suite).

Est-ce que mes kinks et mes fantasmes me font du mal? Me nuisent? Nuisent à ma relation? À mon partenaire? Aux femmes et aux personnes opprimées en général? C’est bien beau la libération sexuelle, mais à quel moment devient-elle seulement de l’hypersexualisation et une centralisation de la sexualité dans nos vies, dans nos relations et dans nos priorités? Il y a pour moi un conflit entre la libération/l’émancipation du cadre et la destruction du cadre en même temps, dans ce cas-ci la libération sexuelle (coucher avec qui on veut, fin du slutshaming, actions contraires aux attentes) et la déconstruction (polyamour, redonner de la valeur aux connexions humaines, anarchie relationnelle). Ce ne sont pas des concepts contradictoires, mais le désir d’opposition n’est pas nécessairement toujours compatible avec la remise en question. La déconstruction est certainement le but ultime, c’est l’idéal, mais l’opposition est plus facile et gratifiante à court terme. 

Comme avec mes attentes envers ma relation amoureuse, j’ai de la difficulté à savoir si mes désirs sexuels sont vraiment miens ou s’ils sont seulement une continuation des dynamiques d’oppression genrée que je subis et dont je suis témoin depuis toujours. Un désir de soumission est-il une indication de ma faiblesse d’esprit et de conviction ou est-il au contraire une manière de se libérer, de recréer ces dynamiques dans un environnement contrôlé et consentant afin de les rendre moins lourdes à vivre en-dehors de cet environnement? De l’autre côté, un désir de domination est-il libérateur ou est-ce que je ne fais que recréer les dynamiques d’oppression en inversant les rôles?

Les réflexions sur l’amour romantique et les relations amoureuses mènent sans grande surprise à des réflexions sur les autres types d’amour et les autres types de relations. Si je prends seulement l’exemple de la famille, la remise en question de mes standards par rapport à l’amour romantique y est inévitablement liée. Qu’est-ce qui définit la famille? Les liens de sang, la solidité des liens affectifs, un nom, une histoire partagée? Est-ce que c’est quelque chose qui peut changer, qu’on peut créer nous-mêmes? Même si c’est parfois lourd, toutes ces réflexions et ces questionnements ouvrent pourtant un monde de possibilités qui pourront me permettre et permettre à d’autres d’avoir des relations tellement plus épanouies, intimes et saines.