Rage Climatique – Deuxième réponse au questionnaire

Berneri

C.A.J.

À propos du questionnaire

Lors d’un évènement au cours du mois de juillet 2023, Rage Climatique a proposé une série de questions. Rage Climatique (RC) est une organisation écologiste et anticapitaliste jeune, de laquelle nous sommes proches, certain·e·s de nos camarades y participant. La plupart d’entre nous avons d’ailleurs pris part d’une manière ou d’une autre à la campagne contre la COP15 sur la biodiversité (Montréal 2022) menée par ladite organisation, connue à l’époque sous le nom de Coalition Anticapitaliste et Écologiste contre la COP15 (CAEC). Nous voyons d’un bon œil l’attractivité qu’a acquise RC auprès des écologistes radicales/ux organisé·e·s dans des groupes moins radicaux depuis cette campagne, qui fut marquée par des succès idéologiques et de communication, à défaut d’avoir constitué un mouvement de masse populeux capable d’impacter réellement la tenue de la convention.

Considérant les enjeux écologiques comme indissociables de la politique de notre temps, plusieurs camarades de PL ont eu envie de répondre à ce questionnaire. D’une part, certains y ont vu une occasion de présenter de manière synthétique et mobilisatrice les grandes lignes de notre conception d’une révolution anticapitaliste écologique, dans un texte pouvant servir de point d’entrée à la compréhension. D’autre part, des camarades ont eu envie d’entrer en profondeur dans le cœur du sujet, en présentant des réflexions qui alimenteront les envies de celles et de ceux qui, souhaitant dépasser les banalités convenues, cherchent des réponses plus complexes à ces questions importantes. Un questionnaire, deux jeux de réponse, formule peu habituelle, certes; tous·te·s y trouveront, nous l’espérons, un peu d’eau à ajouter au moulin.

 

 

The time is out of joint; O cursed spite,
That ever I was born to set it right!
Hamlet, Act I, sc. 5

 

 

Question 1 : Quels sont les angles morts des mouvements écologistes actuels d’après vous ?

Il serait de mauvaise foi de chercher à critiquer tous les mouvements écologistes comme si ces derniers ne recouvraient pas des réalités très différentes et des positions politiques variées. Nous allons tâcher ici de concentrer notre réflexion sur les mouvements qui prétendent transformer radicalement la société afin d’atténuer la catastrophe. Nous ne considérerons pas les mouvements qui n’ont pas au moins en leur sein la volonté d’améliorer les choses pour la majorité des habitants de la planète. Écofascistes, capitalistes verts, réformistes bourgeois sont des ennemis irréconciliables que nous ne chercherons pas à convaincre. Nous parlons à ces militant·e·s qui veulent un monde meilleur pour tou·te·s, qui luttent pour un monde débarrassé des oppressions. Nous parlons à celleux qui ne restreignent pas leur solidarité et leur amour de l’humanité aux frontières des États ou à l’Occident.

Même en limitant notre discours aux personnes qui cherchent à transformer le monde nous observons de larges angles morts dans les pratiques, les formes organisationnelles et l’idéologie de ces mouvements.

L’écologisme peine à exister comme mouvement politique autonome, car il ne devrait pas l’être. De la même façon que l’antifascisme peut aussi bien être anarchiste que social-démocrate, le mouvement écolo doit choisir son camp. Il est aujourd’hui de bon ton de critiquer le capitalisme et de dire qu’on pense que ce système est à l’origine de la crise climatique. Cela est très certainement vrai, mais l’analyse ne va que rarement au-delà de ça, y compris chez les militant·e·s de tendance plus radicale. On s’accorde qu’il faudrait mettre fin à ce système mortifère pour sauver la planète mais on ne produit aucune piste pour son abolition concrète. Notre hypothèse est que cet anticapitalisme n’est que la façade prétendument radicale de tendances réformistes et défaitistes dans le milieu écologiste. Les défaitistes ne croient pas qu’on puisse changer les choses par la révolution, pour des raisons diverses, donc à quoi bon essayer ? Les réformistes déguisé·e·s ne veulent en réalité qu’une social-démocratie verte. Ces deux tendances s’accordant très bien pour ne pas s’attaquer frontalement au statu quo.

Ceci explique qu’on se perde en campagnes et mobilisations vaines, marquées par les mêmes problèmes et les mêmes insuffisances, encore et encore. On lutte contre tel ou tel pipeline, contre telle ou telle COP au lieu de s’attaquer à l’origine du problème et de se poser les questions concrètes de son abolition.

La question principale est celle de la rupture révolutionnaire, car sans elle pas de fin du capitalisme et donc pas de fin aux destructions environnementales et sociales. Si le mouvement écologiste ne cherche pas à prendre cette question à bras le corps, tous ses efforts seront vains et voués à l’échec. Nous pensons cependant qu’une partie du mouvement écologiste radical ne veut pas de cette rupture révolutionnaire et lutte activement contre cette position. Nous pensons qu’une grande partie de ce mouvement vit dans un confort relatif qui lui permet de se désintéresser des questions sociales, ce qui explique le peu de perspectives stratégiques actuelles. De jeunes bourgeois·es se politisent par ce biais sans avoir à contester leur place dans ce système autrement qu’en se définissant comme « anticapitalistes », comme une simple position de principe. Pour certain·e·s il s’agit même d’une lutte qui offre des perspectives de carrière et d’intégration dans l’ordre bourgeois dominant et le capitalisme vert, sous prétexte de « changer les choses de l’intérieur ».

Nous en appelons aux révolutionnaires écologistes anticapitalistes sincères à débarrasser le milieu de ces scories. L’écologie devrait être ce que fut la lutte contre la guerre au Vietnam en termes de mobilisation internationale. Pourtant, loin de galvaniser le mouvement et de devenir une menace pour l’État, on reproduit encore et encore les mêmes mobilisations sans se constituer comme une réelle force de frappe. L’écologie ne devrait pas être une lutte séparée du reste du mouvement. Les jeunes gens qui se politisent par ce biais devraient avoir une aussi bonne connaissance de la question sociale que des enjeux liés aux écosystèmes.

Question : 2 Quels sont les liens entre écologisme, anti-oppression et anticapitalisme ?

Il semble peut-être évident aujourd’hui à n’importe quel·le militant·e sérieuse que l’écologisme n’est pas simplement un appel à préserver les espèces en danger et à réduire les émissions de carbone. Il ne s’agit pas non plus de simplement radicaliser les actions qui pourraient être entreprises pour améliorer les conditions environnementales (notamment sur l’extractivisme ou l’abandon de certaines matières ou technologies). De la même manière que les dernières années nous ont appris à réfléchir l’oppression de manière systémique, c’est-à-dire à considérer les interactions, les interconnexions et les relations des différentes parties du système pour en comprendre son fonctionnement global, nous pensons que l’écologisme doit aussi être abordé ainsi.
Ce système, c’est le système capitaliste. L’histoire des sciences pourrait nous montrer que des pratiques écocidaires existaient avant le règne capitaliste ou encore que des régimes non capitalistes pourraient être responsables de dégâts environnementaux. Et pourtant un fait demeure, le seul monde à avoir existé, c’est celui du triomphe du capitalisme, dont le succès est indissociable de ses liens avec le colonialisme et l’impérialisme. En comprenant cet état de fait, nous pensons qu’il faut nous départir d’une vision du monde où chaque petite amélioration constituerait un gain pour comprendre que sans mettre un terme au système écocidaire même, ces gains restent au mieux insignifiants ou isolés, au pire des tactiques gouvernementales pour pacifier les populations et étouffer nos mouvements.
Inversement, l’oppression ne s’arrête pas aux ravages écologiques. Elle se nourrit des inégalités sociales, raciales, de genre et de classe que le capitalisme entretient. Là encore, il faut néanmoins se débarrasser de conceptions idéalistes ou sociales-démocrates. Le racisme et le cishétérosexisme ne peuvent pas être conçus comme des préjugés, des exclusions arbitraires, des préférences ou des favoritismes ; leur existence historique se trouve justifiée et justifie les régimes économiques d’exploitation des personnes et des ressources.

Les formes libérales du capitalisme ont permis de limiter certains aspects du racisme, du patriarcat, de l’exclusion (voir à ce sujet l’article Pour un mouvement révolutionnaire queer dans ce numéro), mais nous disons qu’il ne s’agit que de médiations qui servent à camoufler les souffrances quotidiennes de la plus grande part de l’humanité, notamment dans le Sud global et dans les endroits dominés par l’impérialisme et le colonialisme. Entretenir aujourd’hui l’idée d’un perpétuel progrès, c’est endosser implicitement le racisme, les violences patriarcales et sexuelles, la pauvreté, la maladie et la mort.

Nous pensons que l’anticapitalisme d’aujourd’hui doit résolument se débarrasser de toute conception erronée autour des classes sociales et des autres systèmes de castes et de rapports de domination. Ni fétichisme, ni opportunisme, les mouvements anticapitalistes écologistes que nous voulons placent l’autonomie des masses à l’avant-plan. Une réelle compréhension du système capitaliste, qui va de pair avec un profond engagement révolutionnaire dans ce qu’il a de pragmatique, de pratique, permet non seulement de mieux comprendre les problèmes sociaux et environnementaux, mais aussi d’en arriver à intervenir là où il y a des possibilités de transformations réelles des conditions de vie, plutôt que de se limiter à simplement prêcher une bonne parole, à cocher l’enjeu écologiste sur une liste ou à reconnaître de façon non performative les effets du colonialisme.

Question 3 : Comment peut-on alors parvenir à un système écologiste, anti-oppressif et anticapitaliste ?

Ici, on entre dans quelque chose de beaucoup plus dense : d’une part, c’est le lieu des espoirs et des fantasmes, l’inventaire des possibles, qui sert malheureusement aussi à contrer les images de mort qui nous habitent de plus en plus.

La démonstration longue fournie ici dans la Réponse 1 est incontournable à lire pour toutes celles, pour tous ceux qui veulent dépasser les vœux pieux et qui souhaitent pouvoir contribuer à ce que les rêves de sociétés libres et collectives que nous entretenons deviennent des réalités. Nous pensons que la gauche révolutionnaire occidentale s’est trop souvent contentée, dans les dernières années, de laisser une grande distance entre l’état actuel des choses et l’état souhaité. Des pistes de réflexion intéressantes pour changer ce rapport sont proposées ici.

Néanmoins, ce qu’il semble important de garder en tête, c’est qu’il est possible dès maintenant de voir comment les formes de lutte et les légitimités que l’on construit actuellement peuvent agir comme embryons pour les sociétés à venir. Nous appelons les camarades à prendre leurs responsabilités en ce sens, et à voir, comment ensemble nous pouvons mieux réfléchir nos actions, à agir plutôt qu’à subir, à entreprendre plutôt qu’à se laisser happer. Le monde de demain repose sur les forces d’aujourd’hui.

Question 4 : Comment voyez-vous le rôle que devrait prendre Rage climatique dans la mise en place d’un système comme celui-ci ?

Le collectif Rage climatique est l’héritier des formes organisationnelles liées à la lutte contre la COP15. Cette campagne a eu un assez bon succès médiatique mais fut un échec cuisant en termes de mobilisation sur le terrain. Ce regroupement aura cependant permis de tisser des liens, de rencontrer de nouvelles personnes et de lancer de nouvelles initiatives. Ainsi, Première ligne n’existerait sans doute pas sans cette mobilisation écologiste qui nous a permis de nous rencontrer et de militer ensemble.

Cependant nous avons pour Rage climatique des critiques similaires à celles que nous avons pour les autres collectifs de ce type créés autour d’enjeux particuliers ou pour une campagne. La ligne politique y est floue, les structures laissent placent à de larges manœuvres peu démocratiques voire autoritaires et ces groupes semblent incapables de se doter de perspectives révolutionnaires, quand bien même ils en auraient envie. On pourrait défendre l’idée que cette façon de faire est justement ce qui permet aux gens de s’intégrer massivement sans nécessairement avoir un important bagage politique. C’est sans doute partiellement vrai. Cependant, il semble plus que douteux que la forme assemblée soit la meilleure façon d’agréger, de former et de conserver de nouvelles personnes. Les assemblées de la COP15 en sont la preuve parfaite. Ensuite, Rage climatique n’a pas réuni un groupe de personnes suffisamment large qui justifierait d’en tolérer les faiblesses structurelles.

Nous pensons que le rôle de Rage climatique est de rassembler une fraction du mouvement écologiste étudiant et d’habituer ces nouvelles personnes à lutter aux côtés de militant·e·s révolutionnaires. Cependant nous ne voyons pas de meilleure méthode dans la situation actuelle que de créer des organisations révolutionnaires structurées, anarchistes et communistes. Elles seules sont théoriquement capables de s’emparer aussi bien des enjeux liés aux oppressions, à la lutte de classe et à l’écologie. Ces structures sont nos outils pour penser les questions politiques, tactiques et stratégiques et construire l’espoir d’un monde nouveau.

« Nous allons hériter de la terre, ça ne fait pas le moindre doute. La bourgeoisie peut détruire et ruiner son propre monde avant de quitter la scène de l’histoire. Nous portons un monde nouveau ici, dans nos cœurs. Ce monde grandit en ce moment. » 
Buenaventura Durutti